(Dans ma tête.)
Ursula-andthe-Dude
LA TERREUR DE VIVRE
Mardi 7 juin 2011 à 21:46
Ton corps qui se casse sur mes poings, les bleus qu'ils font sur ta peau. J'observe leurs dégradés, du violet au jaune, quand je m'ennuie à force de te regarder pleurer dans un coin du salon. Tes larmes suintent de tes yeux, de gros kystes que j'essaye d'éclater quand tu m'observes avec cet air farouche. Comme si tu allais réussir à les combattre, mes démangeaisons, mes colères sans raison, mes cris de l'aurore, qui me prennent comme une envie de tendresse. Evidement que ça m'amuse de faire rentrer mes orteils entre tes côtes, de casser ton nez trop gros dans l'encadrement des portes. Je fais de la moindre caresse une griffure qui saignera quelques jours. J'espère que tu te trainera longtemps, souvent, quand je laisse ton corps rouge et bleu en sortant des draps, la haine luisante entre les reins et les mains sur la taille, comme une guerrière qui terrasse de mauvais monstres qui ont du mal à mourir. Mon haleine halte encore, souffle les poids qui me pesaient en dedans et maintenant écris sur ton corps qui gémit, toujours. Ton courage n'est qu'un vernis dont les autres te peignent quand tu boites parmi eux, tremblant à mon bras fier. Moi, je l'écaille quand tu passes la porte, que tu hurles déjà, tout seul. Ce n'est pas parce que tu es un garçon que tu es plus fort que moi: ton torse bondé se dégonfle comme un enfant quand je te perce. Ton corps est un brouillon, tes cicatrices toutes les lignes, tes boursoufflures les passages ratés. Parfois, j'y arrache des pages, de rage.
Dimanche 17 avril 2011 à 18:19
Dimanche de Juillet, le Soleil et le ciel bleu qui couvrent le jardin. Le nouveau mobilier d'extérieur de Maman brille sur l'herbe, il est tellement blanc que le reflet du vernis me pique les yeux. Ses boucles blondes platines font de petits soubresauts à chaque fois qu'elle tourne la tête pour sourire aux invités, appeler un enfant qui joue un peu trop avec le chat ou pour savoir qui reveut de la saucisse. J'aime la voir comme ça avec son rouge à lèvres rose pâle, son teint de pêche et ses yeux humides de bonheur. C'est comme si elle avait encore trente ans et moi cinq. Papa a le teint gris parce que la fumé de barbecue se mêle à sa sueur et la poussière du jardin salit ses cheveux mais ce sont des détails, juste des détails. Tata a apporté des hamburgers, ils sont tout chauds et les enfants arrivent en courant dans leurs bermudas blancs, tachés de vert et de marron mais personne ne se fera engueuler: c'est si rare les déjeuners tous ensemble. Gwen' et moi on mange un peu à l'écart, par réflexe. Ses tatouages sont verts en été et plus le Soleil monte, plus sa peau se boursouffle. Je vois l'encre, les cicatrices colorées, les femmes toutes nues pleines de symbole, les mots qui ne veulent rien dire et les arabesques compliquées qui dévorent son cou n'ont toujours pas de sens pour moi. Ma soeur lui demande si elle est née comme ça. Gwen' lui explique que non, que c'est elle qui a choisit de mettre sur son corps des dessins qui ne partiraient jamais. Elle commence à lui parler comme elle parle aux gens dans la rue, aux adultes. Elle lui dit que ses amis partent si vite qu'elle préfère les inscrire sur sa peau, que c'est pas grave s'ils l'oubliaient parce qu'elle, elle les oublierait jamais. Elle nous humilie encore et ma soeur demande c'est quoi la maladie qui fait voir les os sous la peau et qui fait que les amis nous abandonnent. Gwen' rit très fort, si fort que tout le monde s'arrête et la regarde, ses dents sortent de ses lèvres comme une armée sanguinaire, un peu de jus de viande les teint en rose et tout le monde rigole avec elle pour la remettre à l'ombre. C'est vrai que Damien aurait pu trouver mieux avec sa situation. C'est vrai que j'aurai pu trouver mieux. On trouve toujours mieux. Elle pose sur moi ce regard amusé et amoureux, elle trouve drôle ma famille, drôle les questions, drôle les yeux, drôle la "American way of life" à Chatoux avec ses étés perdus à manger de la viande grillée accompagnée de salade carottes-céleri et de gâteau à la patate douce. Au dessert, les grands se mettent à parler politique avec le café et les cigarettes, les enfants vont jouer mais un seul reste à côté de nous et demande à Gwen' c'est quoi les deux gros trucs qui font des bosses sous son débardeur. Elle lui explique comment elle s'est fait posé des morceaux d'acier à la place des omoplates pour devenir un robot destructeur. Le petit commence à flipper, j'ai pas envie qu'il se mette à chialer alors que je lui dit que c'est juste ses os et que non, tous ces bouts de métal dans ses oreilles ne sont pas des implants pour qu'elle devienne Terminator plus tard. D'ailleurs tu sais bien que c'est un film. En parlant de film, les enfants veulent maintenant en voir un, avec des glaces et puis ils ont trop chauds et puis ils ont soif. Tata commence à minauder avec Papa pendant que Mamie et Maman s'endorment doucement sous le saule pleureur alors on amène les enfants dans la salle de jeu pour leur mettre un Pixar, Walt Disney c'est tellement vieux jeu et raciste avec ça. Je suis resté le cul visé sur ma chaise à agiter mes orteils dans mes baskets pour m'occuper. Gwen' sirote son café avec un sourire, profitant de la caresse du Soleil sur sa peau verte. Je lui dit qu'elle pourrait arrêter de dire que tout le monde l'abandonne devant moi et dire des gamineries aux enfants. Elle me répond que je ne suis pas son ami et je trouve qu'elle joue sur les mots. Je suis quand même quelqu'un dans sa vie, on vit ensemble, on bouffe ensemble, on baise ensemble et depuis très longtemps. Je suis quand même son type, son truc, sa bite, d'ailleurs j'aimerai bien arrêter d'être tout ça et être juste son mec, celui qui va la chercher après la fac, qui fête la Saint-Valentin et qui amène des fleurs de temps en temps. Elle se remet à rigoler: je dis tout ça comme si je lui faisais la liste des course avec ma voix basse et monocorde. Elle aime ça mais je m'en fous, c'est pas la question. Gwen' ne veut plus parler, elle veut aller regarder la télé ou même rentrer. Dans la voiture, elle ne dit rien et se cache entre ses épaules, envoie un texto à son tatoueur pour parler d'un truc à faire sur le devant du pied, des oiseaux, des poissons, des ailes et des dents, surtout des dents: des crocs. J'en peux plus. Les doigts crispés sur le volant, je klaxonne avec mon front, je hurle, je tape sur l'accélérateur et le frein en même temps. Gwen' me regarde sans broncher, j'aurai bien arracher le volant pour lui carrer sur la gueule. Je lui demande pourquoi elle se cache derrière tous ces tatouages, je le demande en criant, je crie toujours cette question. Je lui demande pourquoi elle se sent obligée de se massacrer, pourquoi elle est pas foutue de s'exprimer. J'en ai marre qu'elle cache sa peau, qu'elle me cache son être que je n'ai jamais cessé d'aimer. De toute manière le jour où elle s'écrira sur la gueule je la quitterai. T'entends, hein, je te quitterai. Je partirai et je reviendrai plus jamais. Dans un crachas je lui demande pourquoi moi, moi, je ne suis nulle part alors que bientôt il n'aurait plus de place, nulle part. Un silence, elle coupe son téléphone et me dit que je ne suis nulle part parce que je suis encore réel, que je le serai toujours et qu'elle sait bien que, quand je dis tout ça, en criant, je mens, je me mens. J'ai redemarré.
Mardi 1er février 2011 à 22:31
J'oserai jamais lui dire que j'aimais bien nos soirées à chanter dans la cuisine. Même si j'avais honte, même si j'étais trop large dans mon corps et que je parlais trop fort, que je me moquais d'elle alors que je chantais aussi faux, je préférais ces soirées à nos nuits à zoner du ciné au café, du café à la soirée, de la soirée au pieu, de la baise au sommeil. J'arrivais pas à lui dire que j'aimais bien entendre nos voix dégringoler les escaliers et répandre du bruit dans la rue plutôt que de regarder nos glapissements divers sauter de désespoir par la fenêtre. Te trouver les mots pour t'expliquer combien c'est insipide nos histoires de boulot, nos copains et le bistrot du coin. J'arrive pas non plus à te dire que j'ai envie de compresser ta tête entre mes mains sauf quand elle est sur mes genoux, le soir, et que tu me parles des livres et des écrivains qui ont dépassé l'Oural. Ton souffle qui monte pour frôler mon nez, dans l'air que tu brasses avec tes mains trop expressives, apaise pendant ton temps de paroles toute cette sensation de vide, d'injustice qui règne en moi quand je te vois faire cuire les steaks ou m'aider à faire la vaisselle. Tes mots qui se rentrent dedans te font une bouche qui n'arrive pas à retenir tous les mots qui arrivent au bord. Ton agitation de gamine pubescente me ramène par pulsions nos souvenirs d'enfance, à l'époque où on se faisait des bisous pour de rire bien cachés derrière le bac de linge sale de la garderie, ça me rappelle quand j'ai vu ta culotte à la boum du collège et puis les yeux tout mouillés que tu avais jusqu'au bac. Après, si mon corps s'est réajusté c'est parce qu'il s'est fermé, je sens qu'il commence à se dessécher et que bientôt je me sentirai trop à l'étroit. J'aimerais bien t'expliquer ça aussi parce que tu ne le comprends pas. Je sais que tu ne le comprends pas parce que tu t'étires souvent, tu essayes de détendre ta peau pour qu'elle arrive à contenir encore ton gros coeur de Bovary. Je vais t'expliquer comment on va essayer de se prendre toute la place, ça va commencer quand on aura besoin de choisir un côté du lit. Et puis après on va dégringoler petit à petit, on s'est déjà disputé pour plus bête que le programme télé, tu te rappelles la marque de conserve que tu voulais absolument ? Moi j'ai oublié quand je me suis énervé pour la couleur de ta jupe. Ouais, je vais bientôt vouloir prendre toute la place parce qu'au final tu sais bien que je m'en fous, de toi, de moi, de nous. J'aimerai bien des enfants, parce que c'est le moment où je ne me sens plus capable d'un autre amour que celui de ma propre chair. On est fatigué, tous les deux, fatigués, très, trop fatigués de ces idéaux, ces utopies d'amour mutuel. Je sais pas toi, mais moi j'en veux plus de ces histoires de romans et la Dame de Pique ça m'a fait chié. Sacrément chié.
Mercredi 26 janvier 2011 à 22:00
Face à mon lit, c’est l’heure du combat. Caleçon rayé super confort, débardeur blanc super large, je me plonge doucement entre la couette et le matelas, prudemment. J’essaye de réguler ma respiration, parce que j’aimerai bien dormir. Petit à petit je sens mon corps qui se tourne d’un côté, puis se ravise et revient à la position initial pour retrouver la respiration et le battement de cœur adéquat puis recommence sa danse avec une déplorable monotonie. Très vite ennuyée, je commence à jeter mes jambes un peu partout sur le matelat, je me roule et déroule en plein de petites pelotes de laine, croisant mes bras de façon tout à fait improbable. J’occupe mon insomnie avec des chorégraphies tarabiscotées que je suis la seule à comprendre. Je me rappelle qu’il faut que je me coupe les ongles de pieds, que je dois refaire mes ongles et que j’ai oublié de me laver. Après, je pense que je ne sais pas ce que je vais mettre demain alors je fais tourner mon armoire dans ma tête, fantasme sur un dressing surdimensionné et commence à m’ulcérer avec des désirs hors de prix. A force de gestes fantasques, ma couette perd de sa fraicheur. Ma sueur et mon angoisse s’évaporent de mon corps et déposent sur les draps propres et bien tirés par la femme de ménage une poisse transparente dont je me tartine à chaque fois que je bouge. Finalement c’est la faute de ces ongles trop longs si je ne dors pas. Je me lève et coupe à la va vite ces petites griffes blanches qui volent sur le plancher. Je profite du parquet glacé et je respire cet air pur, loin de l’atmosphère étouffante qui entoure mon « coin à dormir ». Et puis même, j’étouffe dans ce fichu pyjama. Je repars à la guerre toute en cheveux, habillée de rien, confiante. L’air autour de mon lit s’est fait si épais qu’il s’est transformé en aura palpable, comme une fumée transparente qui ne se découvre qu’une fois touchée. Les heures glacées tombent goutte par goutte sur la plate-forme de mon cerveau, commençant l’érosion naturelle de l’insomnie. Une nouvelle fois, l’assaut est un échec et il faut avoir recourt à la bombe nucléaire pour mettre fin au conflit. C’est l’heure de raser de la carte ces milliers de petits habitants malpropres qui ont commencé à construire des bases militaires sous les falaises de ma plate-forme maintenant déformée. Un peu d’eau et de couleur, tout ça coule en tourbillon dans ma gorge sans que je distingue ne serait-ce que mon visage épuisé dans le noir. A la place d’un placebo ridicule, je me retrouve avec un rythme de pulsations divisé par deux et un cœur qui s’endort docilement dans l’ouate qui se forme autour de lui. Un instant encore, j’essaye de paniquer pour voir si ça marche vraiment, en fait oui, ça marche très bien. Ce n’est qu’à 4h que je me force à me réveiller parce que merde il est 7h et qu’il y a cours aujourd’hui. Et puis le réveil me contredit alors je me rendors sans chercher à avoir raison parce ses raisons à lui m’arrangent bien. Un peu plus tard je vois F. qui commence à me parler. Je ne sais pas si elle veut me parler en fait, je la vois. Je la vois avec son mec. Qui lui mord le genou d’ailleurs. En fait ce sont les photos que j’ai vu sur Facebook tout à l’heure, tout va bien. A 7h je me rends compte qu’en fait je suis sous l’eau et qu’il serait temps de sortir. Le seul souci, c’est que l’eau est épaisse et que je ne vois pas la sortie. Finalement je m’accroche à des planches d’eau douce et transparente déposée là pour m’aider et je sors la tête de l’eau. Là, mes poumons s’ouvrent, se défroissent et j’ai mal à hurler. L’air s’engouffre dans des poumons tout neufs, fouille les alvéoles, viole les bronchioles. J’ai une folle envie de hamburger, une fringale qui joue aux montagnes russes et mes pieds m’ont l’air bien suspects à être aussi bien disposés sur le sol. Tous ses rêves m’ont épuisée et ma journée est une journée sans état d’âme. En rentrant chez moi je me rends compte que mon lit parfaitement fait avant ma nuit à la moitié du drap housse enlevé au niveau de ma tête. Mais ça aussi j’ai oublié, j’ai oublié le moment où je me suis accrochée, j’ai du m’accrocher. De toute manière quand je dors, j’ai tout oublié.
<< 1992