Dimanche 17 avril 2011 à 18:19
![http://ursula-andthe-dude.cowblog.fr/images/Queneauphotomaton.jpg](http://ursula-andthe-dude.cowblog.fr/images/Queneauphotomaton.jpg)
Dimanche de Juillet, le Soleil et le ciel bleu qui couvrent le jardin. Le nouveau mobilier d'extérieur de Maman brille sur l'herbe, il est tellement blanc que le reflet du vernis me pique les yeux. Ses boucles blondes platines font de petits soubresauts à chaque fois qu'elle tourne la tête pour sourire aux invités, appeler un enfant qui joue un peu trop avec le chat ou pour savoir qui reveut de la saucisse. J'aime la voir comme ça avec son rouge à lèvres rose pâle, son teint de pêche et ses yeux humides de bonheur. C'est comme si elle avait encore trente ans et moi cinq. Papa a le teint gris parce que la fumé de barbecue se mêle à sa sueur et la poussière du jardin salit ses cheveux mais ce sont des détails, juste des détails. Tata a apporté des hamburgers, ils sont tout chauds et les enfants arrivent en courant dans leurs bermudas blancs, tachés de vert et de marron mais personne ne se fera engueuler: c'est si rare les déjeuners tous ensemble. Gwen' et moi on mange un peu à l'écart, par réflexe. Ses tatouages sont verts en été et plus le Soleil monte, plus sa peau se boursouffle. Je vois l'encre, les cicatrices colorées, les femmes toutes nues pleines de symbole, les mots qui ne veulent rien dire et les arabesques compliquées qui dévorent son cou n'ont toujours pas de sens pour moi. Ma soeur lui demande si elle est née comme ça. Gwen' lui explique que non, que c'est elle qui a choisit de mettre sur son corps des dessins qui ne partiraient jamais. Elle commence à lui parler comme elle parle aux gens dans la rue, aux adultes. Elle lui dit que ses amis partent si vite qu'elle préfère les inscrire sur sa peau, que c'est pas grave s'ils l'oubliaient parce qu'elle, elle les oublierait jamais. Elle nous humilie encore et ma soeur demande c'est quoi la maladie qui fait voir les os sous la peau et qui fait que les amis nous abandonnent. Gwen' rit très fort, si fort que tout le monde s'arrête et la regarde, ses dents sortent de ses lèvres comme une armée sanguinaire, un peu de jus de viande les teint en rose et tout le monde rigole avec elle pour la remettre à l'ombre. C'est vrai que Damien aurait pu trouver mieux avec sa situation. C'est vrai que j'aurai pu trouver mieux. On trouve toujours mieux. Elle pose sur moi ce regard amusé et amoureux, elle trouve drôle ma famille, drôle les questions, drôle les yeux, drôle la "American way of life" à Chatoux avec ses étés perdus à manger de la viande grillée accompagnée de salade carottes-céleri et de gâteau à la patate douce. Au dessert, les grands se mettent à parler politique avec le café et les cigarettes, les enfants vont jouer mais un seul reste à côté de nous et demande à Gwen' c'est quoi les deux gros trucs qui font des bosses sous son débardeur. Elle lui explique comment elle s'est fait posé des morceaux d'acier à la place des omoplates pour devenir un robot destructeur. Le petit commence à flipper, j'ai pas envie qu'il se mette à chialer alors que je lui dit que c'est juste ses os et que non, tous ces bouts de métal dans ses oreilles ne sont pas des implants pour qu'elle devienne Terminator plus tard. D'ailleurs tu sais bien que c'est un film. En parlant de film, les enfants veulent maintenant en voir un, avec des glaces et puis ils ont trop chauds et puis ils ont soif. Tata commence à minauder avec Papa pendant que Mamie et Maman s'endorment doucement sous le saule pleureur alors on amène les enfants dans la salle de jeu pour leur mettre un Pixar, Walt Disney c'est tellement vieux jeu et raciste avec ça. Je suis resté le cul visé sur ma chaise à agiter mes orteils dans mes baskets pour m'occuper. Gwen' sirote son café avec un sourire, profitant de la caresse du Soleil sur sa peau verte. Je lui dit qu'elle pourrait arrêter de dire que tout le monde l'abandonne devant moi et dire des gamineries aux enfants. Elle me répond que je ne suis pas son ami et je trouve qu'elle joue sur les mots. Je suis quand même quelqu'un dans sa vie, on vit ensemble, on bouffe ensemble, on baise ensemble et depuis très longtemps. Je suis quand même son type, son truc, sa bite, d'ailleurs j'aimerai bien arrêter d'être tout ça et être juste son mec, celui qui va la chercher après la fac, qui fête la Saint-Valentin et qui amène des fleurs de temps en temps. Elle se remet à rigoler: je dis tout ça comme si je lui faisais la liste des course avec ma voix basse et monocorde. Elle aime ça mais je m'en fous, c'est pas la question. Gwen' ne veut plus parler, elle veut aller regarder la télé ou même rentrer. Dans la voiture, elle ne dit rien et se cache entre ses épaules, envoie un texto à son tatoueur pour parler d'un truc à faire sur le devant du pied, des oiseaux, des poissons, des ailes et des dents, surtout des dents: des crocs. J'en peux plus. Les doigts crispés sur le volant, je klaxonne avec mon front, je hurle, je tape sur l'accélérateur et le frein en même temps. Gwen' me regarde sans broncher, j'aurai bien arracher le volant pour lui carrer sur la gueule. Je lui demande pourquoi elle se cache derrière tous ces tatouages, je le demande en criant, je crie toujours cette question. Je lui demande pourquoi elle se sent obligée de se massacrer, pourquoi elle est pas foutue de s'exprimer. J'en ai marre qu'elle cache sa peau, qu'elle me cache son être que je n'ai jamais cessé d'aimer. De toute manière le jour où elle s'écrira sur la gueule je la quitterai. T'entends, hein, je te quitterai. Je partirai et je reviendrai plus jamais. Dans un crachas je lui demande pourquoi moi, moi, je ne suis nulle part alors que bientôt il n'aurait plus de place, nulle part. Un silence, elle coupe son téléphone et me dit que je ne suis nulle part parce que je suis encore réel, que je le serai toujours et qu'elle sait bien que, quand je dis tout ça, en criant, je mens, je me mens. J'ai redemarré.